Pour une caméra-personnage

Que pourrait-on faire de cette caméra, qui est un personnage central des films en found footage ?
Tous les lundis, une note sur la fiction.

Chronicle

Une image tremblante, des visages paniqués collés à la caméra, une respiration saccadée qui sature le micro… On reconnaît facilement les codes visuels du found footage – terme qu’on pourrait traduire par images trouvées. Le found footage, c’est un truc de mise en scène. Le mot truc s’adapte bien dans ce cas, puisque c’est une bricole, une astuce qu’on utilise parfois pour de mauvaises raisons – par effet de mode ou par intérêt économique.
La caractéristique principale du found footage est de donner l’illusion que les images du film ont été tournées par des amateurs, retrouvées plus tard et présentées telles quelles au public. On parle bien d’illusion, car le found footage est un genre fictionnel, et personne n’est dupe sur sa fabrication. Le spectateur est complice de la tromperie, il accepte de s’immerger dans un univers qu’on lui présente comme réel, tout en étant conscient qu’il ne l’est pas. Comme pour tout film de fiction, me dira-t-on, mais la suspension consentie de l’incrédulité prend ici tout son sens.

A la différence de certains mockumentaries qui entretiennent le doute sur leur authenticité (voir I’m still here1), le found footage tente rarement de brouiller les frontières entre réalité et fiction. Il devient en effet de plus en plus difficile d’exploiter la naïveté du spectateur pour des histoires de fantômes ou d’expéditions ratées, comme à l’époque de Blair Witch2 ou de Cannibal Holocaust3Ceci étant dit, si le found footage continue à privilégier le fantastique et l’horreur, c’est pour une bonne raison : le concept même d' »images trouvées », qui accentue l’immersion du spectateur dans un monde qui ressemble a priori au sien, permet un surgissement du surnaturel assez brutal, un vrai basculement – je revois par exemple le début de Chronicle4.

Mais le found footage reste avant tout un procédé de mise en scène. Comment faire en sorte, alors, que ce procédé ne paraisse pas gratuit, ou pire : qu’il trahisse uniquement les avantages économiques de son utilisation ? Le found footage, pour persister et se renouveler en tant que genre, n’a pas besoin d’un public qui serait redevenu crédule, d’un public « des premiers temps » qui s’effrayait lorsqu’un bandit traversait l’écran pour lui tirer dessus. Il me semble qu’il gagnerait cependant à exploiter davantage la place de la caméra dans le récit – qu’il s’agisse d’un caméscope, d’une webcam, d’un système de vidéo-surveillance ou de plusieurs dispositifs. Car si la caméra est toujours présente, elle a rarement une influence sur l’histoire. Qu’elle soit intra ou extra-diégétique ne change rien à l’intrigue. La caméra n’est pas un personnage, elle est tout juste un objet. Quel intérêt alors de raconter l’histoire de cette façon ?
La fonction de l’objet-caméra ou du personnage-caméra, ses possibilités dramaturgiques m’intéressent et m’intriguent… Encore un défi d’écriture.


1 I’m still here, écrit par Casey Affleck et Joaquin Phoenix et réalisé par Casey Affleck (2010)
2 Blair Witch, écrit et réalisé Daniel Myrick et Eduardo Sánchez (1999)
3 Cannibal Holocaust, écrit par Gianfranco Clerici et réalisé par Ruggero Deodato (1980)
4 Chronicle, écrit par Max Landis et réalisé par Josh Trank (2012)
5 Cloverfield
, écrit par Drew Goddard et réalisé par Matt Reeves (2008)

Image de couverture : Chronicle, écrit par Max Landis et réalisé par Josh Trank