Underwood brise le quatrième mur

C’est au tour de Frank Underwood, le personnage de House of Cards, de traverser le quatrième mur.

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Pour (re)lire l’article sur le quatrième mur, suivez le chemin.

Qui est Frank Underwood ?

Frank Underwood est un personnage de la série télévisée House of Cards1. Le programme, créé par Beau Willimon, est diffusé depuis le 1er février 2013 sur Netflix. C’est Kevin Spacey qui incarne ce politicien prêt à tout pour grimper les échelons du pouvoir.

A l’occasion de l’arrivée de la saison 4, nous revenons sur ce personnage que François Jost qualifierait de « nouveau méchant »2, et sur sa particularité : l’adresse directe au spectateur.

Quatrième mur

L’épisode pilote de House of Cards introduit Underwood de cette façon : sur un écran noir, on entend en off le son d’un accident de voiture, et les cris d’un chien. Frank ouvre la porte de sa maison et se précipite dans la rue, accompagné de son garde du corps. Tous deux découvrent l’animal qui agonise sur la route.
Underwood s’approche du corps et congédie son homme de main. Se penchant au-dessus du chien, il lui adresse quelques mots, avant de se lancer dans un court monologue sur la douleur et la nécessité d’agir dans des moments comme celui-ci. Puis il achève l’animal.

Extrait du scénario de l'épisode pilote.
Extrait du scénario de l’épisode pilote.

Dans le scénario (voir ci-contre), on lit « Frank looks up at us », soit « Frank nous regarde », dès le début de son monologue. Dans l’épisode, on remarque qu’il ne lève pas immédiatement les yeux vers la caméra. On ignore alors s’il pense à voix haute, ou s’il continue à parler au chien… Mais la rupture de ton entre ce qu’il dit à l’animal et le début de son monologue ne laisse pas longtemps place au doute -Frank s’adresse à nous. Le premier regard caméra survient quelques secondes plus tard et fonctionne parfaitement. Le spectateur est directement intégré dans la fiction; il est non seulement témoin de ce que va faire le personnage, mais il a également entendu les raisons de cette action.

C’est de cette manière que les futurs -et nombreux- monologues face caméra d’Underwood vont se manifester : ils préviennent souvent une action du personnage sur laquelle ce dernier s’explique longuement.
Parfois, ce seront des clins d’œil ou de courtes remarques à l’intention du spectateur qui feront de lui le complice de Frank, et ce dès l’épisode du chien.

En ce sens, le dernier trailer de la saison 4 (voir vidéo ci-dessus) est très représentatif du sentiment que procurent les interventions directes d’Underwood. Dans cette bande-annonce, on peut voir l’homme politique derrière son bureau, débitant un discours sur l’avenir qu’il compte offrir à l’Amérique, en regardant le spectateur droit dans les yeux, à la manière des discours présidentiels dont nous reconnaissons le dispositif. Le montage parallèle revient sur les images des saisons précédentes et souligne le discours, ou plutôt s’y oppose : aux déclarations prometteuses du candidat sont confrontés ses faits les plus immondes.
La campagne lancée pour la promotion de la saison 4 prend appui sur cette utilisation systématique du quatrième mur depuis le premier épisode, et la complicité -souvent dérangeante- qui s’est installée entre Frank et les spectateurs. Sur la page d’accueil du site dédié à la campagne politique d’Underwood, un passage de la souris sur le visage souriant du politicien fait dévier son regard dans notre direction.

A travers ces adresses régulières au spectateur, c’est évidemment la mise en scène de la manipulation politique qui vient avant tout à l’esprit. La caractérisation du personnage d’Underwood passe en effet par cette exploitation du concept du quatrième mur, qui construit en grande partie l’image du politicien toujours en campagne, même dans sa vie privée.
Ce quatrième mur met également le spectateur face à l’absurdité de sa position : témoin silencieux des actions d’Underwood, il ne peut pas répondre lorsqu’il est pris à parti. La promiscuité supposée du politicien n’est bien qu’une illusion; Frank Underwood nous manipule tous…


1 House of cards, série télévisée créée par Beau Willimon (2013)
2 Les nouveaux méchants. Quand les séries américaines font bouger les lignes du bien et du mal, essai de François Jost