Ainsi soient-ils / Intrusion du réel

Alors que la série a touché à sa fin avec la diffusion de sa troisième et dernière saison en octobre 2015 sur la chaîne ARTE, analyse du pilote de la série au regard de l’alternance constante entre le spirituel et la réalité.

David Baïot, Clément Manuel, Thierry Gimenez,  Julien Bouanich, Jean-Luc Bideau, Clément Roussier, Samuel Jouy et Céline Cuignet

Cinq jeunes hommes, Guillaume, Emmanuel, Yann, Raphaël et José, entrent au séminaire des Capucins pour devenir prêtres. Leur foi et leurs principes vont être mis à rude épreuve au cours de leur formation.


La première fois que j’ai entendu parler du concept d’Ainsi soient-ils1, je m’étais spontanément imaginé une série historique. Peut-être que, n’étant pas croyante, suivre des candidats à la prêtrise me semblait assez éloigné des problématiques de notre société. Pourtant, il suffit de visionner le pilote de la saison 1 de la série créée par David Elkaïm, Bruno Nahon, Vincent Poymiro et Rodolphe Tissot pour être saisi par tout le charme que porte ce sujet. Justement, aborder la question de la foi dans notre société souvent qualifiée d’ « en perte de repères », où le paysage des croyants semble parfois se répartir entre athéisme et tentation de l’extrémisme, apparaît peut-être comme une question bien plus centrale qu’on ne l’imagine. Mais parler de ce sujet nécessitait d’éviter de nombreux écueils et l’ancrage dans le monde d’aujourd’hui se devait d’être le plus palpable possible : Ainsi soient-ils le fait avec succès, quitte à frôler dangereusement avec la perte de crédibilité de ses personnages.

L’ancrage dans l’époque

Pour moi qui imaginait la série comme une série historique, les dix premières minutes du pilote ont de quoi surprendre. La séquence alterne des images solennelles de la messe d’accueil au séminaire avec celles montrant le départ pour le séminaire de chacun des personnages. En voix off, le discours grandiloquent du père Fromanger, directeur des Capucins, expose les difficultés à devenir prêtre et place directement les enjeux de la série.

Si le discours donne immédiatement le ton des difficultés à venir, les scènes de départ mettent en lumière l’aspect profondément contemporain des personnages. Chacun incarne à sa façon un aspect de notre époque. Les difficultés de la famille moderne surgissent avec le personnage de Guillaume, issu d’une famille monoparentale dont la mère est alcoolique. Emmanuel est frappé par l’un des grands maux de notre époque puisqu’il sort d’une grave dépression. Raphaël incarne une jeunesse dorée insouciante et irresponsable puisqu’il utilise le prétexte de son départ pour se bourrer la gueule avec son frère. Plus tard, ce sont les difficultés sociales qui feront leurs apparitions avec le personnage de José, issue de la banlieue de Toulouse et tout juste sorti de prison. Il n’y a guère que Yann qui semble issu d’un milieu traditionnel provincial hors du temps. Pourtant, il fait ses adieux en emportant sa guitare sèche sur le dos. Les épisodes suivants nous apprendront qu’il est un excellent musicien. Il enchaînera même sans ciller les airs pop comme beaucoup de jeunes de son âge.

On pourra justement reprocher à la série de vouloir forcer le trait de l’ancrage contemporain. Même chose avec la volonté appuyée des auteurs à distinguer l’origine sociale et géographique des personnages – le provincial breton, le gosse de riches, l’ancien taulard -, peut-être un peu trop prémonitoire des conflits à venir. Cependant, par ces personnages très ancrés dans notre monde et automatiquement très empathiques, montrer que les candidats à la prêtrise sont « comme tout le monde » a l’effet immédiat de donner un coup de jeune à l’image de la religion catholique.

La série n’aura d’ailleurs de cesse de prendre plaisir à aller à contre-pied de l’imaginaire du spectateur. Cela apparaît avec le plus d’évidence avec la scène de présentation du cardinal3. On assiste à ce moment-là à la préparation de la réélection du cardinal à l’Assemblée des Évêques de France. L’un des prêtres, féru de marketing, explique au cardinal, vieil homme un peu traditionnel, comment mener une campagne électorale en bonne et du forme et comment le sujet des « pauvres » fait vendre. Une scène plein de cocasserie qui ne tourne jamais ses personnages en ridicule.

Ainsi soient-ils

Car la force de la série est de mettre un coup de jeune à l’image de l’Église sans tomber dans l’irrespect total. La cocasserie est toujours contrebalancée par la grande éloquence dont les personnages usent pour s’exprimer. Même si cela manque parfois un peu de naturel, l’élégance de l’expression permet de monter les hommes d’Église comme des personnes cultivées et raffinées avant tout. Peut-être un peu hors du temps, c’est tout.

L’ancrage dans le quotidien

Autre défi lorsqu’on prend comme protagonistes des personnages religieux : comment limiter la distance entre les personnages et le spectateur ? Le regard porté par un spectateur sur un homme d’Église n’est jamais neutre : qu’il le place sur un piédestal ou l’inverse, il y a forcément une distance entre des hommes qui consacrent toute leur vie à Dieu et le spectateur d’aujourd’hui.

Dès le pilote, les auteurs ont donc dû réaliser un travail visant à désacraliser les personnages, sans jamais perdre de vue l’aspect solennel du monde où ils évoluent. Ainsi, l’activité spirituelle est toujours présente : la messe et sa préparation, les références bibliques, etc. Cependant, le trivial apparaît systématiquement comme contrepoids. On verra ainsi nos nouveaux séminaristes jouer les touristes à Paris, le cardinal faire l’essayage de sa soutane ou encore le père Fromanger installer lui-même une bâche de protection contre la toiture qui fuit.

Mais l’intrusion la plus forte du quotidien est certainement incarnée par l’omniprésence du repas. On ne compte pas les scènes où il est question de nourriture. Guillaume prépare des plats à congeler avant de partir pour le séminaire. José, de retour dans sa cité d’origine à Toulouse, dîne en compagnie de son ex-compagne. Nos nouveaux séminaristes se retrouvent à la cantine. Même le cardinal est surpris lors de son petit-déjeuner, moment que choisit le père Bosco, adjoint du père Fromanger, pour venir réclamer de l’argent pour le séminaire.

Cette omniprésence de la nourriture participe à la désacralisation de l’image des hommes d’Église, dans le sens où il n’y a pas plus universel que celui d’avoir besoin de manger. Mais elle met également en garde : sous la soutane, il y a des hommes. Des hommes avec les mêmes besoins que tous les autres.

La foi n’est pas aveugle

Cette omniprésence du quotidien et du monde d’aujourd’hui dans la série n’a pas uniquement pour but de rajeunir à l’image de l’Église. Elle permet aux auteurs de dépeindre un monde et des personnages capables de prendre du recul par rapport à leurs croyances.

Ainsi, la séquence d’introduction se clôt par l’apparition de larmes sur le visage du Christ sur sa croix. Un miracle ? Non, le toit de la chapelle fuit. Dès le pilote, le propos de la série est clair : être croyant aujourd’hui ne signifie pas être dupe des légendes, des mythes et oublier les évolutions de la société. Nos nouveaux arrivants sont tout de suite présentés comme des hommes éloignés de tout mysticisme : lors de la visite du séminaire, l’un des anciens raconte une vieille légende de la Révolution Française autour d’une porte. La réaction de la part des héros est sans appel : Emmanuel, archéologue de formation, explique que la porte en question ne date pas de la Révolution et les autres ne manquent pas d’écouter la légende avec moquerie. Même chose lorsque les anciens, pour les attirer à la fête de bienvenue, font croire aux nouveaux qu’ils vont devoir participer à un rituel controversé : le groupe refuse de s’y prêter.

La tension entre réalité et spirituel

Le rappel incessant de la réalité et du quotidien rentre également en conflit avec les principes religieux. Car c’est réellement le cœur de la série : comment accommoder sa foi avec la réalité de sa propre nature humaine et du monde qui nous entoure ? Il est une chose de ne pas être dupe d’une vieille légende, c’en est une autre que de devoir composer avec le principe de la réalité.

À la fin du pilote, le père Fromanger déclare : « Nous fautons tous autant que nous sommes ». Et cela est prémonitoire de toute la première saison. Le père Fromanger est peut-être le guide spirituel des futurs prêtres à coups de sermons grandiloquents mais il se doit d’être également un gestionnaire, avec toutes les décisions, parfois peu morales, que cela peut occasionner.

Le cardinal refuse d’aider le séminaire financièrement parce qu’il déteste cordialement le père Fromanger depuis des années. Le pilote se conclut d’ailleurs par une dispute entre les deux hommes qui mettra le séminaire en danger par la suite.

Pour nos jeunes séminaristes, c’est la formation du groupe qui sera la première épreuve soumise au principe de réalité. Yann, par son coté naïf, devient rapidement le centre de moqueries de la part des trois autres nouveaux séminaristes. Se trouver une tête de turc permet rapidement aux autres de sympathiser et de s’intégrer aux anciens. Certes, cette attitude semble contraire à la religion mais, comme tous les jeunes débarquant dans un univers inconnu, il est important pour eux de se lier aux autres. Ils finiront par réaliser qu’ils sont allés trop loin avec Yann et par lui demander des excuses. Cela rappelle cruellement aux séminaristes qu’être prêtre s’est aussi se libérer de certains comportements sociaux et que cette libération implique immanquablement de s’éloigner des autres.

Ainsi soient-ils
Raphaël, Guillaume, Emmanuel préparant la messe

Le personnage de José incarne peut-être cette opposition entre la foi et la réalité de façon encore plus brutale. À peine sorti de prison pour meurtre, il est bien obligé de constater que rien n’a changé depuis son départ de la cité d’où il est originaire. Alors que son ancienne compagne lui expose ses problèmes, José répond « Que Dieu te protège ». Maigre consolation pour la jeune femme. Les bonnes paroles ont souvent bien peu d’impact sur un quotidien difficile.

Et beaucoup d’autres sujets mettront les personnages à rude épreuve : pauvreté mais également avortement, suicide, recul de la foi, difficultés financières, homosexualité, désir charnel. L’intelligence de la série est de placer ces conflits directement au sein de l’entourage des personnages : que faire de ses principes quand il s’agit de sa mère, son frère ou ses amis ? Comme José voit apparaître dans ses rêves le fantôme de l’homme qu’il a tué, tous les autres auront aussi à vaincre leurs démons.

Un message de tolérance

Il ne faut pas s’en cacher. Le pilote surprend et pose question. Un tel ancrage des personnages dans le monde d’aujourd’hui soulève tout de suite une interrogation : qu’est-ce qui peut bien pousser de jeunes hommes avec l’avenir devant eux à embrasser une carrière aussi surannée et difficile que celle de prêtre ? Le plus déroutant dans la saison 1 est que l’origine de la foi des personnages ne sera que très peu abordée. Certains révéleront l’origine de leur choix et de leur foi mais d’autres non.

Pour Guillaume, il n’en sera jamais question par exemple. Il est croyant, il veut devenir prêtre, il est fait pour cela, un point c’est tout. Point d’histoire de révélation mystique ou de terrible secret refoulé. Un ami me disait qu’il avait des difficultés à apprécier la série car les personnages ne lui semblaient pas crédibles. Il était évident pour lui que la série aurait dû traiter de l’origine de la foi des personnages afin de nous faire réellement adhérer aux problématiques des personnages. Surtout de personnages aussi proches de nous. A l’inverse, en n’abordant pas réellement cette question mais plutôt celle de conserver la foi malgré les épreuves, la série nous donne une vraie leçon de tolérance. Pourquoi faudrait-il avoir à se justifier d’être croyant ou de vouloir consacrer sa vie à Dieu ? Les auteurs nous obligent à prendre les personnages tels qu’ils sont, sans forcément surenchérir en explications et en justifications au prix du réalisme. Ils nous incitent à faire preuve d’ouverture d’esprit face un monde sur lequel on nourrit beaucoup de fantasmes.

La série durera ainsi trois saisons. Elle sera qualifiée par le critique de série Pierre Serisier de « sans doute la production qui a fait le plus bouger les lignes de la fiction française depuis le début des années 2010 »3. En effet, les qualités d’écriture indéniables, le sujet profondément ancré dans notre temps, des problématiques jamais manichéennes en ont fait la chef de film indéniable du renouveau des séries à la française.


1 Ainsi soient-ils série créée par David Elkaïm, Bruno Nahon, Vincent Poymiro et Rodolphe Tissot
2 Article de Télérama du 11/10/2012 par Samuel Douhaire, en ligne ici
3 Article du blog Le Monde des Séries du 4 octobre 2015, en ligne ici