Le Narratoire #5 : Folklore

Toutes les semaines, découvrez une courte chronique sur une personnalité ou un fait original, et un exercice d’écriture. Le but ? Stimuler l’imaginaire.

Lo Stregozzo, Le Sorcellag gravure de Marcantonio Raimondi et Agostino Veneziano (vers 1520, Musée des Offices)

Margaret Murray, la mère des sorcières

En 1921, Margaret Alice Murray, célèbre égyptologue et anthropologue anglaise, publie son ouvrage : The Witch-cult in Western Europe (Le culte des sorciers en Europe occidentale).
Concentrant ses recherches en Angleterre, la folkloriste rapporte des traditions datant du néolithique : une religion dite « des sorcières », qui aurait précédé le culte chrétien et lui aurait survécu dans l’ombre. Les adeptes de cette ancienne religion adorent le Dieu Cornu, entité mi-homme mi-animal, dont l’une des premières figures remonterait aux peintures rupestres de la grotte des Trois-Frères, dans l’Ariège. Plus tard, cette image de dieu à cornes aurait servi aux chrétiens pour désigner Satan : « Le Dieu de l’ancienne religion est devenu le Diable de la nouvelle. »
De là serait née la fameuse « chasse aux sorcières », destinée à détruire les restes d’un culte archaïque pour laisser la place à de nouvelles croyances et pratiques religieuses.

murrayLes théories de Murray, reprises plus tard dans deux autres de ses ouvrages (The god of the witches et The Divine King in England) sont fortement critiquées par ses contemporains. Elle est notamment accusée de choisir puis de détourner ses sources pour servir ses arguments. Elle ira en effet jusqu’à lier la mort de Thomas Beckett et de Jeanne d’Arc à la chasse aux sorcières.

Certains, au-delà de l’imagerie folklorique, voient dans les livres de Murray une défense des droits de la femme et de la liberté sexuelle. L’égyptologue a également influé sur l’univers d’auteurs tels Aldous Huxley et H.P. Lovecraft ; le premier dans son essai Les diables de Loudun, et le deuxième dans sa nouvelle La maison de la sorcière.

Il vivait dans l’immuable cité d’Arkham, hantée de légendes, où les toits en croupe tanguent et ploient les uns contre les autres au-dessus des greniers où se cachaient les sorcières pour échapper aux soldats du roi, dans le sombre passé de la Province.

La maison de la sorcière, de H.P. Lovecraft

Margaret Murray est décédée à l’âge de 100 ans, peu après la publication de son dernière livre autobiographique, My first hundred years (Mes cent premières années). Encore maintenant, elle est considérée comme la plus importante référence dans le domaine de l’étude de la sorcellerie.

« Le folklore est une méthode majeure pour comprendre l’esprit humain et ses variations. Parce que, comme nous le savons tous, la vraie science et la vraie étude de l’homme, c’est l’homme. »

cernunnos
Cernunnos, l’une des variations du Dieu Cornu
Margaret Murray avec Flinders Pétrie, près d'une des momies de la "Tombe des Deux Frères" (Rifeh, 1908)
Margaret Murray avec Flinders Petrie, près d’une des momies de la « Tombe des Deux Frères » (Rifeh, 1908)
Vanessa Redgrave dans "Les Diables" de Ken Russell, adapté des "Diables de Loudun" d'Aldous Huxley.
Vanessa Redgrave dans « Les Diables » de Ken Russell, adapté des « Diables de Loudun » d’Aldous Huxley.

Laboratoire d’écriture

Décrivez la créature, le Dieu que vous venez de découvrir.

Les figures de dieux se ressemblent toutes. Leurs histoires aussi. Mais elle existe bien, cette créature inédite, ancienne ou contemporaine… 

Écrivez par exemple à un directeur de musée, à un professeur d’université, à un ami, pour lui faire part de votre découverte. À quoi ressemble cette créature nouvelle, et comment s’est-elle manifestée ?

La créature, le dieu peut prendre toutes les formes ; immobiles, vaporeuses, sonores, invisibles. Ne vous limitez pas à la description de son corps ; il n’en a peut-être pas besoin. Parfois, il faut s’intéresser au milieu dans lequel il évolue, ou à l’influence qu’il a sur les humains, sa bonne ou sa mauvaise conscience…

Kafka est l’un des maîtres de la description de créatures. Replongez-vous dans La métamorphose ou Le souci du père de famille. Dans cette dernière nouvelle, les lignes d’introduction de la créature « Odradek » sont un modèle du genre :

« On dirait d’abord une bobine de fil plate en forme d’étoile, c’est un fait qu’il semble être vraiment couvert de fils, même si en vérité il ne peut s’agir que de bouts de fil de différentes sortes et couleurs, bouts de fil déchirés, anciens, noués ensemble mais aussi entremêlés. Cependant, ce n’est pas qu’une bobine, car du milieu de l’étoile ressort une tige transversale, et à cette tige se joint une autre dans l’angle droit. C’est au moyen de cette dernière tige et de l’une des pointes de l’étoile que l’ensemble se tient debout comme s’il était sur deux jambes. On serait tenté de croire que cette figure a eu jadis quelque forme fonctionnelle et qu’elle est à présent cassée. Mais cela ne semble pas être le cas ; du moins il n’y a aucun indice de cela ; on ne voit nulle part de pièces ajoutées ou de signes de fracture qui indiqueraient quelque chose de semblable ; l’ensemble a bien l’air inutile, mais il est achevé à sa manière. Du reste, on ne peut rien dire de plus à ce sujet, car Odradek est extraordinairement mobile et insaisissable. (…) « Comment t’appelles-tu ? », lui demande-ton. « Odradek », dit-il. « Et où habites-tu ? » « Sans domicile fixe », dit-il en riant, mais ce n’est qu’un rire comme on peut en produire sans poumons. Cela fait un peu comme le bruissement des feuilles mortes. »


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