Le Narratoire #6 : Métamorphoses

Toutes les semaines, découvrez une courte chronique sur une personnalité ou un fait original, et un exercice d’écriture. Le but ? Stimuler l’imaginaire.

Narratoire 6 meta

Les illusions de Fregoli

Un soir de l’année 1897, Auguste Lumière se rend au Théâtre des Célestins, à Lyon, pour assister au spectacle d’un phénomène du music-hall : Leopoldo Fregoli. Ce transformiste et ventriloque italien, capable d’incarner plus de 100 personnages par représentation, a commencé sa carrière pendant son service militaire ; il jouait alors les cinq rôles d’une même pièce de théâtre pour distraire les autres soldats. Séduit par l’acteur, Auguste Lumière lui vend un appareil de projection et l’autorise à s’en servir. Avec cet appareil, qu’il rebaptise le Frégoligraphe, Fregoli tournera 27 films. Précurseur d’autres illusionnistes du grand écran tels Chaplin ou Linder, Fregoli est à l’origine de l’apparition du cinéma en Italie.

fregoli 3« Pour mon second film, Fregoli illusionniste, j’employais dix pellicules de dix-huit mètres chacune, réduites par la suite, grâce à de judicieuses coupures, à environ soixante mètres. On y voyait mes apparitions, mes disparitions, et d’extraordinaires escamotages. C’étaient les premiers artifices du cinéma qui se multiplièrent par la suite à l’infini. Bref, je fabriquai toute une collection de pellicules qui terminaient brillamment chaque représentation ; l’écran avait été construit pour moi et encadré d’ampoules électriques de toutes nuances. Je nommai cet ensemble le « Frégoligraphe », et ne songeai jamais à le faire breveter. »

Afin de contrer les accusations de certains spectateurs affirmant que Fregoli est secondé en coulisses par un sosie qui prend sa place pour lui laisser le temps de se changer, l’acteur met en place le « théâtre à l’envers » ; pendant ce tour, il se déshabille et s’habille sur scène, dos au public, qui assiste ainsi au processus extrêmement rapide de sa métamorphose.

Lorsque l’illusionniste meurt en 1936, on fait graver sur sa tombe : « Ici Leopoldo Fregoli a accompli son ultime transformation« .

En 1927, le nom de Fregoli est utilisé pour désigner un trouble psychiatrique : le Syndrôme de Fregoli. Courbon et Fail, deux psychiatres français, étudient en effet le cas d’une jeune femme de 27 ans, persuadée d’être poursuivie depuis plusieurs années par deux actrices de théâtre, dont Sarah Bernardt. Celles-ci, capables de prendre l’apparence de n’importe qui, suivent la patiente afin de la tourmenter ou de l’obliger à commettre certains actes contre sa volonté.

Plus tard, le même docteur Courbon s’intéresse à une autre patiente, Sylvie G., et identifie un délire sensiblement différent : la malade subit l’illusion d’un changement d’apparence des gens ou des objets ; tout d’un coup, l’un de ses proches se transforme et devient plus grand, plus gros… « J’ai vu des femmes se changer en hommes », affirme la jeune femme. On donnera à ce trouble le nom d’intermétamorphose

Leopoldo Fregoli

Dépliant Frigoli

Fregoli au Théâtre Royal
Fregoli au Théâtre Royal

La plupart des images ci-dessus proviennent du site www.fregoli.com 


Laboratoire d’écriture

Transformez un texte existant en remplaçant ses mots

Choisissez un texte court, un conte, une fable, ou une nouvelle de quelques pages. Pour l’exercice qui va suivre, tentez de trouver un texte peu avare d’adjectifs, idéalement bourré de métaphores (tout ce qui est « méta » est souvent bienvenu ici…).

Remplacez les adjectifs et les verbes, d’autres mots si nécessaire, par un synonyme, par un contraire… Toujours si cela est nécessaire, déplacez les mots pour obtenir des phrases grammaticalement correctes. Le sens est secondaire.

L’un des meilleurs exemples est celui de Paul Valéry, reprenant la célèbre phrase de Blaise Pascal : 

« Le silence éternel de ces espaces infinis m’effraie. »

… qu’il transforme en celle-ci : 

« Le vacarme intermittent des petits coins me rassure. »

Il s’agit ici de s’approprier le texte, d’en faire par exemple un anti-texte, en utilisant systématiquement des antonymes, ou en échangeant les adjectifs poétiques par des termes techniques, ou en transformant en pamphlet politique un extrait de manuel pratique…
L’exercice est à la fois drôle et instructif, car on y redécouvre le pouvoir suggestif des mots.

(Le sommeil est à la fois cruel et dangereux, car on y goûte la délicieuse paresse de la mort.)


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