Les mille et une vies d’Andy Kaufman

Andy Kaufman n’était jamais tout à fait Andy Kaufman. Ou peut-être que si.
Tous les lundis, une note sur la fiction.

Andy Kaufman meta

Je ne sais plus comment la rencontre a eu lieu. Et en réalité peu importe. Il se trouve qu’un jour, j’ai rencontré Andy Kaufman.
Depuis, j’ai passé de longs moments devant les images de cet acteur aux mimiques absurdes et à l’accent changeant, dont les performances me laissaient tour à tour perplexe et fascinée. Très vite, il s’est imposé à moi comme la quintessence du comédien. Sans doute parce qu’il n’était pas vraiment comédien.
Andy Kaufman n’était jamais non plus tout à fait Andy Kaufman. Ou peut-être que si. Il était, profondément et intensément, tous les personnages qu’il interprétait. Certainement parce qu’il n’y avait pas plus de personnages que de comédien.

En refusant d’être un seul, Andy Kaufman s’est créé une forme d’identité qui était en réalité la somme d’identités multiples et mouvantes. Ses personnages – ou ses autres pans de lui-même – apparaissaient et disparaissaient. Mais il n’y avait jamais de rupture. Si Andy Kaufman était Tony Clifton, il restait Tony Clifton. En public, il n’y avait pas de chute; pas de ces moments embarrassants où le comédien, dans une tentative désespérée de s’écarter du personnage, de se surélever, de s’observer de haut, finit par s’écraser sur lui-même et s’étouffer tout à fait.
Il est parfois douloureux de regarder Andy Kaufman, installé dans un personnage rustre ou machiste, s’enfoncer toujours plus dans le malaise que pouvaient provoquer ses gestes et ses déclarations. Il est douloureux aussi de le voir se confier à la caméra d’un ami, dans une intimité manifeste, se plaignant timidement d’un public qui l’a hué. C’est douloureux car on ne sait jamais qui l’on regarde; quand Andy dit qu’il est sincère, on s’imagine qu’il joue. Et souvent, quand Andy joue, on le croit sincère. Même ses proches ont douté de sa mort. Il faut se le représenter : ils ont cru à une farce, ils se sont demandés à qui appartenait le corps sans vie d’Andy Kaufman. C’est l’art de l’illusion poussé à son paroxysme.

Douloureux, fascinant, vulgaire et agaçant, Andy Kaufman était tout, parfois tout en même temps. C’est ce qui cause le malaise et la poésie. Tony Danza a dit de lui : « He just wanted you to wonder » : il voulait juste que l’on se demande.
Je me suis un temps demandé qui était Andy Kaufman. C’était le jeu : deviner à quel moment il était lui-même, et à quel moment il était un autre. Guetter le moment de rupture, celui qui trahit le mauvais comédien, comme le meilleur. Cet instant où l’acteur lâche prise, où il admet que le personnage n’est plus là, que jouer lui en a trop coûté.
J’ai passé de longs moments yeux dans les yeux avec Andy Kaufman. Maintenant je ne me demande plus. Je le regarde. Parce qu’Andy Kaufman a eu mille vies, et on peut toutes les voir défiler en même temps.