Le Narratoire #2 : Prémisses

Toutes les semaines, découvrez une courte chronique sur une personnalité ou un fait original, et un exercice d’écriture. Le but ? Stimuler l’imaginaire.

Guillotine meta

Louis Deibler, le bourreau qui avait peur du sang

Fils de l’exécuteur Josef Anton Deibler, lui-même issu d’une lignée de bourreaux allemands commencée en 1679, Louis Deibler devient exécuteur en chef le 15 mai 1879.

Dès les premières exécutions, on le trouve lent, maladroit, et particulièrement brusque : il assomme à demi son premier condamné, le parricide Laprade, alors qu’il se débat furieusement en approchant de la guillotine. Cette réputation lui restera. Les journalistes, que le timide Louis fuit, contribuent à alimenter les railleries dont il fait l’objet, notamment sur son allure maladive, sa faible constitution. L’abbé Moreau écrit de lui : « C’est un homme de taille très ordinaire. Il a les cheveux noirs, la barbe taillée en fer à cheval, peu fournie et presque rase. Il marche lentement et boite un peu. » Dans un article du Gaulois de 1868, on lit : « Nous conseillons à ceux qui croient qu’un bourreau doit être taillé en hercule d’aller rendre visite à M.Deibler. Au lieu de l’homme musculeux et puissant qu’ils s’étaient figuré, ils se trouveront en présence d’un homme de moyenne taille, boitant légèrement, dont le sourire forcé, la démarche lente, le regard terne et la parole embarrassée, les désillusionneront totalement sur l’être fantastique que leur imagination s’était plu à créer. »

Dans une interview que Deibler accorde exceptionnellement quelques années plus tard, en 1889, le journaliste lui demande : « Comment considérez-vous votre métier ? » Voici ce qu’il répond : « Je suis un ouvrier de la justice, un simple mécanicien. Je ne touche pas au condamné lorsqu’il est sous le couteau. Les journalistes prétendent que je me couvre de sang. C’est un mensonge odieux. Venez à coté de moi à une exécution quelconque et vous verrez qu’aucune goutte de sang ne rejaillit sur moi. »

En 1897, cependant, un terrible incident le contredit. À 6h45 ce matin du 14 janvier, on réveille René Van Yngelandt. Condamné pour meurtre, il est conduit à l’échafaud par Deibler. Pendant l’exécution, l’aide du bourreau fait une mauvaise manoeuvre, et Deibler reçoit une giclée de sang en plein visage.
Quatre jours plus tard, il procède à la décapitation de Dominique Harsch. Le couperet est libéré avant que la lunette ne soit fermée, et cette fois-ci, le sang est projeté sur les spectateurs les plus proches. Louis Deibler demande alors qu’on lui apporte de l’eau pour se laver le visage, mais la projection ne l’a pas atteint : il est seulement victime de sa première crise d’hémophobie.
Cette peur du sang s’aggravant de jour en jour, il finit par demander sa démission deux ans plus tard. Il est cependant forcé d’exécuter un dernier condamné. Au cours de sa carrière, il aura fait tomber plus de 400 têtes.

 

Louis Deibler L'express de Lyon
La dernière exécution de Louis Deibler.
Louis Deibler caricature
Deibler caricaturé

Louis Deibler exécution

Quand on exécute le matin
Dans la nuit d’un pas incertain
L’boiteux s’en va cahin-cahant
Afin d’dresser son instrument,
Pendant qu’ses aides rangent le fourgon
D’vant la porte de la prison,
Avec des airs préoccupés
Il inspecte les cinq pavés

Il faut le voir, en avant d’la barrière
Boitant par devant, boitant par derrière;
La jambe droit’ du moderne Falstaff
Semble crier : j’ai l’taf ! j’ai l’taf ! j’ai l’taf
Tandis que l’autre lui répond
Va donc ! Va donc ! Va donc !

Ah ! s’écrie tragique son riflard
Pas d’pétard
Car il est trop tard !
Il est trop tard !

« Le boiteux », chanson écrite par Édouard Mores

Références :
Le métier de bourreau du Moyen Age à aujourd’hui, essai de Jacques Delarue
guillotine.voila.net


Laboratoire d’écriture

Imaginer en quelques mots un personnage dont le métier ou la situation sont en décalage avec son caractère.

"Le décapité récalcitrant"
« Le décapité récalcitrant »

« Le bourreau qui avait peur du sang » pose déjà les bases d’un récit, car le conflit du personnage est évident. À votre tour, imaginez ces personnages dont le potentiel dramatique tient en une seule phrase. Acceptez les facilités (« le clown dépressif »), ne vous limitez pas à ce qui vous paraît connu (« le pompier pyromane » aurait pu être une prémisse du Fahrenheit 451 de Ray Bradbury). Ces quelques mots peuvent former le titre d’un conte, d’une fable (« Le vaillant soldat de plomb » d’Andersen)
Le clochard élégant, le torturé qui s’ennuyait, l’aveugle halluciné…
Le récit tient aux causes et aux conséquences. Le clown est-il devenu dépressif parce qu’il n’arrive plus à faire rire personne ? Ou est-il devenu clown pour soigner sa dépression ? Le torturé s’ennuie-t-il de sa situation ? Ou l’a-t-il justement provoquée pour tromper l’ennui ?
Ces premiers mots contiennent déjà à eux seuls plusieurs centaines d’histoires. À vous de choisir celle que vous voulez raconter.

Prémisse : fait d’où découle une conséquence.


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