Raconte : un documenteur

Des extraterrestres, des fiançailles, des parcs, des tatouages… des histoires racontées par des gens qui existent vraiment. Ou pas.

RACONTEFB

Dans le paysage audiovisuel de YouTube, il y a parfois quelques pépites qui se détachent du lot. La série Raconte réalisée par Thibaut Villar est de celles-ci. Parce-que dans Raconte, tout est faux… ou presque. Rencontre avec son réalisateur.


Tourner pour Internet

« J’ai commencé par faire des courts-ctrages en mode guérilla, des kinos tournés avec les copains. C’est là où tu essayes plein de choses, tu en rates aussi beaucoup, tu apprends vraiment. Ensuite, je suis monté sur Paris, et j’ai fait un film de 13 minutes, L’ordre des choses. Trois jours de tournage avec une équipe d’une dizaine de personnes, un petit budget de 2000 euros, auto-produit. C’était à la fois énorme par rapport à ce que j’avais connu jusque là, et encore ridicule en terme de format.

Sur le tournage de "Raconte"
Sur le tournage de « Raconte »

On a tourné pendant trois jours, monté plusieurs mois, fait l’étalonnage, le mixage… En tout, il a fallu presque un an. Et à la fin, j’avais un film de 13 minutes, que j’ai envoyé en festival et qui n’a jamais été sélectionné. Un an, quoi ! À l’ère du numérique…

La dynamique d’Internet permet à des gens qui sont parfois seuls sur leur tournage de s’adresser à énormément de monde, c’est un échange beaucoup plus vif. Le fait de ne pas avoir de relation avec le public sur mon précédent court-métrage m’a fait me demander si je faisais vraiment des films.
Je me suis dit qu’au lieu d’attendre le film suivant, je devais exploiter ces forces vives, comédiens et techniciens, autour de moi. J’avais aussi envie d’être plus proche de la technique, j’ai donc fait tout le montage de la série. C’était la première fois que je montais tout seul. Je voulais m’autonomiser un peu par rapport aux outils. Ressentir l’intérêt du numérique : pouvoir tourner, monter, finir un travail, tout seul et en très peu de temps. »

Diogène modernes

« Avec Caroline (l’actrice qui interprète le personnage homonyme dans l’épisode 1 de Raconte, ndlr), je suis allé voir un film, Apnée, de Jean-Christophe Meurisse. J’avais déjà vu ses pièces avant. Les Chiens de Navarre écrivent avec improvisation. C’est très fort. Ils ont une façon d’écrire que je trouve tellement spontanée, vivante, humaine… L’improvisation est une vraie mouvance du théâtre contemporain, beaucoup de collectifs travaillent là-dessus. J’ai trouvé dans Apnée des choses très importantes. J’avais aussi lu une interview de Jean-Christophe Meurisse dans les Cahiers qui parlait de « Diogène modernes » en évoquant ses personnages, et j’avais une envie, dans cette lignée de processus d’écriture, de personnages très spontanés. J’en ai parlé avec Caroline, et c’est comme ça qu’on a défini un peu son personnage à elle.

On a tourné une semaine après avoir vu le film, sans trop savoir ce qu’on allait faire. On a travaillé sur chaque épisode un peu différemment. Tout s’est fait très vite. On ne savait pas quels codes on allait utiliser. J’avais juste envie qu’il se passe quelque chose. »

« Quelqu’un a parlé du personnage de Caroline en disant que c’était quelqu’un de très sûre d’elle, et en même temps complètement à côté de la plaque. Je trouve ça hyper drôle. Chez les Chiens de Navarre, c’est ça aussi. Les mecs sont impulsifs, très nerveux, ils répondent cash sur plein de questions, contrairement aux personnages rêveurs que l’on voit plus souvent. Les mecs sont présents, et ils ne savent rien. Je trouve cette façon de vivre assez forte. »

La frontière acteur/personnage

« Certaines choses se sont faites directement sur le tournage. C’était aussi pour moi un objectif de pouvoir improviser sur le tournage, au-delà du jeu, dans l’espace.
Les comédiens de Raconte, ce sont des gens qui ont un potentiel de jeu que je trouvais sous-exploité. J’avais ces forces vives autour de moi, et je trouvais dommage de ne pas m’en servir. La plupart du temps, les personnages, c’est un peu les acteurs – à l’exception de Mathieu, qui est dans la composition totale, et Mathias. Je les ai plus utilisés comme comédiens au sens « classique » : ils ont incarné des gens qui ne sont pas eux. Avec les autres, la frontière était beaucoup plus floue. Les acteurs utilisent leurs propres mots. Par exemple, Maxime a réutilisé ses propres blagues : le coup du téléphone, il le fait dans la vie, j’avais envie de le mettre dedans, et j’ai rajouté l’histoire de la clope. Au quotidien, Laurent, même s’il n’est évidemment pas odieux du tout, peut avoir tendance à être un peu donneur de leçons avec les plus jeunes. J’ai creusé le sillon pour l’épisode. »

Notes de tournage pour l'épisode de Laurent
Notes de tournage pour l’épisode de Laurent

L’accident du genre

« J’ai toujours été un peu frileux dans mon rapport à la réalisation. J’avais envie d’aller à l’encontre de ça, de « forcer ma nature », d’aller dans la rue sans me poser des questions de droits à l’image… Même comme ça, je sais toujours à peu près ce que je veux, où je veux aller. Pour le premier tournage, je savais comment l’épisode allait commencer, je savais que la phrase de fin allait revenir à chaque fois, même si j’ai eu l’idée trois jours avant. J’étais intéressé aussi par le format sériel. J’ai regardé beaucoup de séries, comme plein de gens. C’est comme ça que tout s’est mis en place.

Thibaut Villar et Maxime Gridelet sur le tournage de "Raconte"
Thibaut Villar et Maxime Gridelet sur le tournage de « Raconte »

Il y a pas mal de choses que j’ai trouvées en montant les images de Caroline, qui se sont imposées et affinées par la suite. Par exemple, j’avais dit à mon chef op, « tourne tout ce que tu peux, même ses pieds ». Ce que je ne fais jamais d’habitude, parce que j’ai toujours un découpage très précis dans la tête. C’est comme ça que la parodie, que le documenteur s’est imposé. En fait, on était dans la même situation qu’une équipe de reporters sur les routes de France.

Ce que j’appelle les « tunnels de plans de coupe », où le personnage commence à parler, puis on le voit marcher dans le rue, qui étaient encore embryonnaires pour l’épisode de Caroline, c’est un code de reportage qui s’est imposé comme ça. J’ai trouvé ça drôle.
Je connaissais les documenteurs, mais sans attrait particulier pour le genre. J’ai vu The Office. Après le tournage du premier épisode, j’ai appelé Caroline et je lui ai dit : « On a fait C’est arrivé près de chez vous, en fait ! » Ce sont des sources qui sont là et qui ont sans doute eu une influence quelque part, même si au final, on ne fait pas la même chose. »

Fiction, non fiction

« J’ai eu des retours de gens qui voulaient savoir si c’était du vrai ou du faux. J’ai fait le projet sans y réfléchir. Je voulais maintenir l’ambiguïté avec le premier épisode, mais je voulais qu’au deuxième, les gens n’aient plus de doutes. On voit bien que ce mec-là n’est pas réel ! Mais certaines personnes ont pourtant continué à croire que c’était vrai.
En fait, j’ai tendance à penser que ce sont les personnes plus âgées qui se trouvent dans ce cas-là. Ceux de ma génération sont sans doute habitués à voir de la parodie sur YouTube. Ils associent peut-être plus Internet à un endroit ludique. Ce qui m’étonne, c’est comment croire qu’un mec a filmé des gens bizarres, qui disent des choses très étranges, et qu’il a mis ses vidéos en ligne ?
Je suis un peu partagé vis à vis de ces réactions. Je suis à la fois embêté qu’on ne voit pas mon intention de départ, et en même temps je le prends comme un compliment, parce que ça veut dire que l’effet de réel fonctionne. J’avais un objectif au niveau de cet effet de réel. »

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Raconte, ça raconte quoi ?

« Je n’ai pas pensé à un sujet spécifique avant le tournage. J’ai pensé au format, à l’efficacité, au fait que ça fasse rire. Je crois que, sans en avoir trop l’air, tous les personnages disent des choses un peu troublantes, un peu de vérité, peut-être. Je n’ai pas de grand message à faire passer, ou de grande histoire. Je vois ça comme une exploration : les humains sont compliqués, rien n’est jamais blanc ou noir. Un mec comme Maxime avoue torturer des chats, dit des choses complètement idiotes sur les extraterrestres, mais  tout ça résonne un peu avec notre époque.

Capture d'écran 2017-07-11 19.45.35La complexité des personnages ne peut pas s’affranchir du support. Pour moi, le concept c’est à la fois les personnages et la façon dont on s’adresse à eux et dont ils s’adressent à nous. Il y a un dispositif qui est au centre. C’est un dispositif de documenteur, donc « parodique » dans un sens, mais le principe de Raconte, ce n’est pas le fait que les gens racontent des histoires, c’est le fait que les gens racontent des histoires dans la rue, face à un mec étrange lui aussi, devant une caméra, sans jamais la regarder. Chaque projet a sa logique, et là c’est surtout le dispositif qui m’intéresse.

Dans mes précédents films, il y a toujours quelqu’un face à quelqu’un d’autre, qui lui dit que la vie n’est pas comme ça, mais plutôt comme ça. Raconte, c’est la même chose. Un personnage naïf arrive, pense que la vie est ainsi, et tombe face à un mec complètement dingue qui, lui, avec une grande assurance, va lui dire que non, la vie est plutôt comme ça. Ca me fait marrer.
Il y a l’idée de remettre en question le monde dans lequel on vit et les repères qu’on a. »


Raconte parle d’extraterrestres, de tatouages, de parcs, de fiançailles, de métro, de changement climatique, de chefs d’orchestre, d’anniversaires… Raconte est forcément bavard et délicieusement absurde.
Au premier visionnage de la série, on se dit que l’on vient d’assister à un petit moment de vérité crue, comme si ces personnages déglingués pouvaient nous éclairer un peu sur ce monde qui, lui aussi, ne tourne pas rond…

Merci à Thibaut Villar pour ses réponses. Propos recueillis par Sarah Beaulieu.