Un corps déplacé

Quelle est la position du spectateur dans une fiction à 360° ?
Tous les lundis, une note sur la fiction.

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La vision récente du court-métrage I, Philip réalisé par Pierre Zandrowicz, est le point de départ de cette courte réflexion dans la note d’aujourd’hui.
Pendant 14 minutes, ce film à 360° met le spectateur dans la peau synthétique d’un robot construit à l’image de l’écrivain Philip K.Dick et qui, incapable de comprendre d’où surgissent ses souvenirs, se pose la question de son identité et de sa condition en tant que personne – ou en tant que machine.

Le spectateur est donc placé au centre du dispositif. Il incarne Philipp K.Dick, appréhende l’histoire tout du moins de son point de vue. S’il baisse les yeux -l’écran-, il se découvre deux mains. Deux mains qu’il ne peut certes pas agiter à sa guise, mais qui contribuent à cette curieuse impression de corps déplacé. Je ne sais pas si le fait de placer le spectateur dans cette position ambiguë, ni personnage ni acteur de l’histoire, est a priori la meilleure manière d’aborder la fiction à 360°. Dans le cas de I, Philip, je m’explique ce choix par le sujet même du film : la question de l’identité. Le fameux qui sommes-nous, d’où venons-nous, qui préoccupe tout autant le robot du film que le spectateur qui se retrouve un instant dans un corps fantasmé, et qui se demande quelle place il occupe dans la fiction.

Les problèmes posés par l’écriture d’un film tel que celui-ci sont multiples. Il s’agit pour l’auteur et le réalisateur de penser leur histoire en considérant que le spectateur choisit ce qu’il regarde. Il existe déjà des techniques permettant de diriger le regard du spectateur, de canaliser son attention, et l’utilisation du son et des dialogues pallie également au risque que celui-ci manque une avancée importante de l’intrigue. Mais il reste, encore une fois, la question de sa place, j’irais même jusqu’à dire de son rôle.

Si le spectateur n’est pas « intégré » au corps du personnage comme dans I, Philipp, que devient-il exactement ? Un intrus dans la fiction. Un voyeur. Puisqu’il ne peut pas interagir directement avec les personnages ou influer sur le récit, il se trouve dans une position étrange ; immergé dans un univers et cependant invisible pour les personnages qui y évoluent. C’est une problématique avec laquelle il faut composer.
La fiction à 360° pourrait s’envisager comme une remédiation du cinéma et du jeu vidéo, au sens où l’entendent Jay David Bolter et Richard Grusin*. Elle emprunte en effet leurs codes pour construire peu à peu les siens. Si elle parvient à dépasser la fonction de simple gadget qu’elle évoque encore pour le moment, et si elle parvient à justifier l’utilisation de la 360° dans le cadre d’une histoire conçue pour cette technologie, et qui ne pourrait pas être racontée autrement, alors je peux imaginer que la fiction à 360° deviendra une forme narrative indépendante et cohérente.

* Remediation, Understanding new media, essai de Jay David Bolter et Richard Grusin
Image de couverture : I, Philip réalisé par Pierre Zandrowicz