Harold Halibut : marionnettes et numérique

Tous les décors et accessoires du jeu vidéo Harold Halibut ont été fabriqués à la main avant d’être intégrés dans un logiciel. Le game designer Onat Hekimoglu a répondu à nos questions sur le processus de création.

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English version available below

Les rares visuels du jeu Harold Halibut, développé par le studio allemand Slow Bros., attirent l’oeil. La particularité de ce jeu réside en effet dans sa conception : tous les décors et accessoires ont été fabriqués à la main avant d’être intégrés dans un logiciel. En prévision de la sortie du jeuprévue pour 2018 (PlayStation, Xbox et PC), le game designer Onat Hekimoglu nous raconte l’origine d’Harold Halibut, et revient sur le processus de création.


Pouvez-vous présenter votre équipe et votre studio ?

Nous sommes Slow Bros., un petit groupe installé en Allemagne. Nous nous consacrons à relier le monde de l’analogique et le monde  du numérique, sous la forme d’expériences interactives. Je suis Onat Hekimoglu, et même si mes occupations au sein du studio sont variées, je suis principalement le game designer, le compositeur et l’un des auteurs d’Harold Halibut.
Ole Tillmann est le directeur artistique. Il est à l’origine de toutes les créations, depuis le concept art jusqu’à la modélisation des marionnettes du jeu, tandis que Fabian Preuschoff est responsable de tous les décors et des constructions miniatures. Ilja Burzev est notre « Responsable 3D », comme nous l’appelons, puisque son travail va au-delà de celui d’un 3D artist. Il s’occupe en effet d’assurer la transition entre les accessoires faits mains et le monde digital. Daniel Beckmann est un auteur et également un 3D artist. Il est aussi le responsable de projet. Il s’occupe de l’aspect administratif, et de tout ce qui nous permet d’exister en tant qu’entreprise.
Même si notre équipe compte un noyau dur de cinq personnes pour le moment, des personnes extérieures viennent en renfort pour certaines taches.

Comment Harold Halibut est-il né ?

Harold Halibut

Ça a commencé pendant un dîner. On parlait de l’attrait que nous avions enfants pour les jeux d’aventures, et de notre amour pour les films en stop motion. Par la suite, on s’est mis à expérimenter différentes techniques pour construire des décors, des personnages et des accessoires, et les manières de les transposer sur un ordinateur, tout en testant d’anciens mécanismes de jeu. On voulait trouver un mélange approprié entre la reproduction de ce que nous aimions quand nous étions plus jeunes, sans les limites qui existaient à l’époque.
En comparaison avec l’écriture d’un film, l’écriture d’un jeu vidéo demande une approche différente, due à la nature interactive du medium. Après avoir défini de solides bases pour l’histoire, nous avons commencé à écrire des intrigues secondaires, que nous pouvions disséminer de manière non-linéaire dans le jeu, tout en maintenant une ligne narrative principale du début à la fin.

Comment décririez-vous le jeu ?

harold-picC’est un jeu d’aventure humoristique, avec un vrai focus sur l’exploration et le storytelling. La complexité du puzzle se situe entre le point and click classique et les walking simulators. Les conversations et les relations entre les personnages sont beaucoup plus importantes que l’utilisation ou la combinaison d’objets.

Quelle est l’histoire d’Harold Halibut ?

Nous aimerions garder cela secret pour le moment, mais voilà ce que nous pouvons dire : le personnage d’Harold fait partie de l’équipage d’un vaisseau qu’on appelle « generation starship » (un vaisseau spatial imaginaire voyageant à la vitesse de la lumière, ndlr), qui s’est écrasé sur une planète couverte d’eau.
Le décor est donc principalement cet énorme sous-marin à moitié détruit, et le paysage inconnu qui s’étend à l’extérieur. Le crash intervient bien avant que le joueur entre dans le jeu, et le principal but pour lui est de trouver un moyen de retourner dans l’espace, tout en gérant l’enfermement dans le vaisseau.

Harold Halibut

Pouvez-vous expliquer votre technique pour obtenir ces magnifiques rendus ? 

13719648_1069251526521457_8978998279071659057_oAprès la construction des accessoires dans le monde réel, nous en avons fait un scan 3D en utilisant la photogrammétrie. Pour ceux qui ne sont pas familiers avec le concept, cela veut dire que nous avons mis tous les objets sur une table tournante, et que nous les avons photographiés sous tous les angles, pour ensuite les placer dans le logiciel de photogrammétrie, qui génère un hight poly model. 
Ensuite, nous avons utilisé plusieurs techniques de retopologie (le fait de créer un modèle par-dessus un autre, ndlr) pour créer des modèles très low poly que nous pouvions utiliser dans l’environnement réel du jeu. Cela permet de créer des répliques numériques qui sont très proches des originaux, avec tous les avantages des modèles 3D (particulièrement dans les environnements en temps réel), comme un contrôle plus précis et une animation fluide. Cela rend aussi possible l’éclairage dynamique. De cette manière, nous pouvons choisir un bon équilibre entre la reproduction de la réalité et la mise en place d’un dispositif interactif efficace.

Pourquoi avoir choisi de créer un jeu « fait main » au lieu d’utiliser des techniques plus communes ? 

13923717_1054704974642779_6054771876941258366_oC’est une grande question qui concerne tous les champs artistiques aujourd’hui.
Utiliser de vrais objets signifie utiliser de vrais outils. L’un des principaux aspects contre-intuitifs avec les outils est le temps que nous devons passer avec eux, l’attention et la patience dont nous sommes forcés de faire preuve. Un matériau réel peut demander un long temps de manipulation, en fonction de sa matièreIl n’y a pas de raccourci « Ctrl+Z ». L’objet peut juste tomber de la table et se briser en mille morceaux. Parfois, on abime la peinture d’un visage parce qu’on était en train de travailler sur l’arrière de la tête avec notre pinceau. Un mur en métal peut rouiller pour de vrai si on attend trop longtemps.
14882398_1126498820796727_3936838263403113173_oUn autre aspect contre-intuitif est que malgré toute l’attention qu’on peut y mettre, on finira toujours avec des pieds de table qui ne sont pas de la même longueur, des visages asymétriques, et tout un tas d’autres erreurs. D’un autre côté, cela nous invite à mieux comprendre notre propre réalité car, particulièrement à une échelle réduite, nous sommes tous entourés par des imperfections. Avec beaucoup de matériaux (comme le grain du bois, la peinture, la poussière…) viennent des variations naturelles.
Au final, à la surface, chaque centimètre du jeu est unique. C’est quelque chose que nous n’aurions jamais pu faire en utilisant des textures carrelées, des modèles symétriques ou d’autres outils numériques conventionnels. De manière inhérente, nous nous sommes approchés d’une qualité difficile à définir, qui fait croire à la « réalité de la réalité », et au-delà, au réalisme de notre jeu. Finalement, nous pensons que le joueur voit vraiment cela.

Merci à Onat Hekimoglu pour ses réponses.
Propos recueillis par Sarah Beaulieu

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Can you introduce yourself, your team and studio ?

We are Slow Bros. a small group of people based in Germany dedicated to thoughtfully bridging analogue and digital worlds in the form of interactive experiences. My name is Onat Hekimoglu and while positions at our studio overlap to varying degrees I can most closely be described as the game designer, composer and one of the writers.
Ole Tillmann is the art director, creating everything from the concept art to the modeling of the puppets of our game, while
Fabian Preuschoff is responsible for all the tiny sets. He is our miniature carpenter. Ilja Burzev is our „3D-Director“ as we call it, since his work exceeds the work of a traditional 3D-Artist in terms of creating the pipeline for the transition of the handmade assets to the digital world. Daniel Beckmann is a writer and 3D-Artist too, and also responsible for the project management, the paperwork and all those other things that make us a company. While the core team consists of five people right now, we are thankful to all the people helping us out for certain tasks.

How did the project start ?

It started with a dinner table conversation about the appeal of adventure games that we played as kids and about our love for stop motion films. Then we started experimenting with different techniques for building the sets, characters and assets and how to get them into the computer, while prototyping early gameplay mechanics. We wanted to find an appropriate mixture between replicating what we liked from the past and overcoming boundaries from back then that are no longer relevant.
Compared with writing a film, writing for a video game requires a different approach, due to the interactive nature of the medium, so after defining the rough story boundaries, we started to write little „sub-stories“, that we could arrange in a nonlinear way in the game, while maintaining an overall storyline reaching from the beginning to the end of the game.

What type of game is it ?

It’s a humorous adventure game with a strong focus on exploration and storytelling. The puzzle complexity is set somewhere between classic point and click adventures and walking simulators. The conversations and relationships between the characters are a lot more important than using or combining objects.

What is Harold’s story ? Could you tell us more about the universe, characters… ?

We would like to keep most of this to ourselves for now but what can be said is that Harold is part of the crew on a so called „generation starship“ that has crash landed on a water-planet. So the setting is basically between a huge, half-intact submarine and the secret landscape outside of it. The crash situation is already long established once the player enters the scenario and the main task on-board is still to find a way back into space while dealing with the social enclosure of the ship.

Can you explain to our readers how you designed your game ? What techniques did you use to achieve these amazing visuals ?

After building all the assets in the real world we 3D scan them using Photogrammetry. (For those unfamiliar: that means we put every single thing in the game on a turntable and photograph it from every angle to then feed it back into the photogrammetry software which generates a high poly model out of them.) We then use different retopology techniques to get low poly models we can use in the real time game environment. This makes it possible to create digital replicas that are very close to the originals with all the benefits 3D models (especially in real time environments) have, like more precise control, fluid animation, physics and being receptive for dynamic lighting. That way we get to chose the proper balancing point between reality-conservation and building a satisfyingly interactive situation.

Why did you choose to create a « handcrafted » game instead of using more common techniques ?

That’s a big question in all creative fields today. Using real objects means using real tools. One of the main counter-intuitive up-sides to real tools is the time we spend with them and the carefulness and patience you’re forced to use. A piece of real material can take a while to be manipulated depending on it’s physical make up. There’s no control+Z-ing it can just fall off the table and break into pieces. Sometimes you smudge off the paint from a face because you were working on the back of the head with your brush. A metal wall can take on actual rust but if you wait too long it deteriorates.
Another technically counter-intuitive measure is that despite the amount of consideration you still end up with mismatched table legs, asymmetrical faces and a lot of other mistakes. Luckily that ends up bringing familiarity to the reality we live in because, especially on a detailed scale we, too, live surrounded by physical imperfections. Additionally a lot of the materials (like wood grain, paint strokes, rust…) just have a natural amount of variation that comes with them.
So on the surface every single centimeter of the game looks unique (something we could not achieve using tiled textures, symmetrical modeling or other conventional digital tools) and inherently we come closer to the indescribable quality that makes up the „believability“ of our reality and therefore the believability of our game. Ultimately we really believe that it ends up showing in some way to the player.

Thank you to Onat Hekimoglu for his answers.